25 juillet 2007

***Chapitre Six***

La foule s'agglutine, totalement obnubilée, prise de cette folle envie de toucher terre. C'est une sensation qui leur est maintenant étrange, comme si ils s'enfonçaient au sol.
Une heure plus tôt , un homme a crié triomphalement de sa voix portante:
-"Je vois la terre à l'horizon, l'Amérique est là!" Des cris de joie ont résonnés en écho.
Jeanne s'est contentée d'admirer les montagnes atteindre des proportions gigantesques pendant que tout le monde se préparait à descendre. Le paysage dépasse toute les idées préconçues qu'elle s'est imaginée ces derniers jours. Dans ce tourbillon , elle a perdu Esteban et Elvina. Elle les cherche du regard. Les gens s'éparpillent doucement, heureux de se retrouver ou alors, tout comme elle, se sentant si étrangers. Elle se rend compte brusquement de sa solitude. Mais elle n'est que de courte durée car soudain, elle voit une femme portant un écriteau où est inscrit son nom en grosses lettres. En s'approchant, elle remarque le grand châle arborant les couleurs du pays sur ses épaules. C'est une petite femme sans âge, aux cheveux noirs noués en une longue natte et des yeux pétillants. Les deux femmes se voient et échangent un sourire.
- Jeanne! Enfin... C'est frappant comme vous ressemblez a votre père, dit elle en italien avec un fort accent espagnol.
- Hola segnora! Vous êtes Leila? Je suis ravie de vous rencontrer. Je ne croyais pas que vous parliez italien, cela me surprend beaucoup.
La dame cherche ses mots. On voit qu'elle n'est pas habituée de parler cette langue.
- C'est plutôt rare par ici. Mais c'est grace a votre père. Vous savez il était professeur. Il enseignait l'italien entre autre aux enfants du village durant de nombreuses années. J'ai profité de cette occasion, dit Leila en ricannant.
Jeanne est si surprise de ces révélations. Son père était toujours très vague concernant ce qui l'ammenait ici. Il détournait toujours la conversation lorsque ce sujet était abordé ce qui la laissait de plus en plus curieuse. Elles déambulent dans les petites rues. Des enfants courent et jouent au ballon. Quelques personnes se retournent sur leur passage et les saluent. Jeanne sent qu'elle est bien accueillie. Certes, on l'observe mais c'est plutôt amical et chaleureux. Cette ville modeste est très jolie, les petites maisons sont en briques, d'autres en chaume où les vignes grimpent sur les murs. La soirée est chaude et Jeanne est aux anges. Leila est une femme très rieuse et une amitié se tisse tranquillement entre elles.
- Venez Jeanne, nous devons prendre le train. Elles courent car le train part d'ici quelques minutes. Elles arrivent à la gare et prennent place à bord. Des chèvres et des moutons embarquent aussi dans le compartiment qui se situe à l'arrière. C'est la frénésie et les gens crient de faire vite, le train démarre. La jeune fille s'installe du côté de la fenêtre. Une voix familière parvient jusqu'à elle. Elle se retourne et aperçoit Esteban et Elvina.
- Jeanne! crit joyeusement Elvina...Mme Lili, vous aussi! Regarde Esteban, c'est Mme Lili!!
Leila se lève et enlace la fillette qui accoure à sa rencontre.
- Ma belle fille! Bonjour Esteban!
Esteban se joint à elles et ils décident de s'assoir tous ensemble.
- Cela fait très longtemps que nous nous sommes vus Mme Lili! Nous avons rencontrés Jeanne sur le navire.
- Jeanne me visite pour la première fois. Vous savez que c'est la fille de Marco, rien de moins, dit elle fièrement.
Esteban regarde Jeanne, très surpris.
- Quoi? Vous m'avez caché cela! Votre père était mon professeur à la petite école. Tout le monde se souvient de lui, ce qu'il était drôle. Vous avez eu de la chance de l'avoir comme père.
Il penche tristement la tête. Marco n'est plus là maintenant. Comme cette nouvelle avait attristé les villageois. Lui aussi avait traversé durement cette épreuvre, il était son mentor.
- Oui, c'était un homme remarquable, dit Jeanne faiblement. Mais il lui avait tellement manqué.
- Vous connaissez Vincento? demande elle à brûle-pourpoint.
Les trois comparses se dévisagent.
- Oui, c'est lui qui vous envoie, il m'a écrit une lettre m'annonçant votre arrivée, dit finalement Leila. Elle se cale au creux de son banc, feignant une soudaine fatigue.
- Vous allez adorer Huancavelica, dit Esteban en s'étirant.
Elvina s'est endormie contre l'épaule de son frère. Son visage est si innocent. Les gens chuchotent à présent et lentement le soleil disparaît derrière les récifs montagneux. Le voyage a été épuisant et Jeanne étend ses jambes. Elle s'endort rapidement. Esteban la regarde longtemps. Il songe à son passé, à sa petite salle de classe et à son professeur. Il se souvient de ces merveilleux moments où ils discutaient ensemble. Marco lui livrait son savoir sur les monuments qu'ils croisaient, lui racontant des légendes incas. Un jour, Esteban arrivant à l'improviste, avait surpris l'homme la tête entre ses mains. L'image de cet homme pleurant dans la solitude de cette nuit ne l'avait pas quitté depuis. Il se doute maintenant, que si Jeanne se retrouve ici, c'est surement qu'elle doit ignorer la vérité. Ses yeux se ferment sur l'image de cette jeune fille, sereinement endormie. Il en aurait tant à lui dire mais il ne sait par où commencer.

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