18 juillet 2007

***Chapitre Cinq***

Elle voit l'ombre des grands arbres se découpant entre les reflets de la lune qui éclaire faiblement le sentier étroit. Elle tente de se libérer pour pouvoir apercevoir le visage de cette personne qui la serre contre elle, à l'étouffer. Mais ce visage se fond dans l'obscurité de ce noir d'encre. Le paysage file à une vitesse folle. Comme si l'on courrait. Elle sent qu'elle suffoque. Soudain, les pas ralentissent puis se figent, indécis. Une main couvre sa tête, puis c'est la chute. Elle se sent entraînée dans ce vertige. Interminable.
Jeanne se réveille en sursaut, elle ne comprend pas ce cauchemar. Les images s'évaporent déjà, laissant planer ce sentiment d'irréalité. À tâtons, elle cherche des allumettes. La flamme jaillit et danse doucement devant ses yeux. Elle allume une bougie. Le doux crépitement du feu la rassure. Ses pensées sont confuses. Elle se sent pourtant mieux, ses nausées ont complètement disparu. Elle sent que son esprit s'ouvre à tout ce bouleversement des derniers jours. Comme si ce voyage était la suite logique de sa vie. Pourtant, sa tête bouillonne de questions sans réponses. Vivement, elle penche son corps et atteint la malle rouge. Déballant frénétiquement son contenu, elle en sort la lettre. L'ayant jusque-là ignorée, elle se dit que c'est le moment propice pour la lire. L'image de son père s'interpose dans sa tête. Elle aperçoit son écriture, si fine et si belle et son coeur s'emballe. Ses mots sont tous à elle, en entiers, son père lui est pour la première fois accessible et elle sent qu'il est véritablement là. Pas seulement de passage, comme autrefois lorsqu'il repartait toujours à peine arrivé. Elle se sent sereine et comprend maintenant la passion de son père et son goût de toujours être à la conquête de sa vérité profonde. Sa mère était aimante, les yeux rieurs et attendait toujours patiemment son retour. Elle lui disait toujours à quel point son père était fier d'elle, sa fille unique. Malheureusement, la tuberculose l'a emportée, un matin blanc de Mai. Un matin ou toutes les fleurs blanches du grand jardin de lilas avaient éclos. L'année suivante, Jeanne ouvrait sa propre boutique. Son père venait parfois la visiter. Il lui disait qu'il travaillait à l'étranger et que cela lui plaisait. Un soir, ils étaient installés sur la terrasse et son père lui avait dit qu'il était désolé de toujours partir mais qu'un jour elle comprendrait et qu'elle serait fière de lui. Il l'avait regardé si intensément ce soir-là comme pour graver ses traits dans sa mémoire. C'était la dernière fois qu'elle le voyait. Quelques jours plus tard, elle recevait un télégramme lui annonçant sa mort. Elle était anéantie et si désemparée. Maintenant, la seule preuve de son existence, est cette missive qu'elle tient de ses mains tremblantes.

Ma chère fille,
J'ai emprunté un chemin qui m'a dérouté tout au long de ma vie, mais je n'en voyais pas d'autre. Je m'y suis perdu, c'était de la folie. Parfois, il y avait des escales qui me menaient à toi. Tu ne devais pas comprendre mes absences si fréquentes. Et si je te disais que je l'ai fait pour toi...

Un jour, l'amour a généré la haine... C'est si difficile à raconter. Vincento m'a été d'un grand secours, un ange tombé du ciel. Si aujourd'hui tu lis cette lettre c'est que j'ai bel et bien échoué. Je me croyais plus fort, je ne me croyais pas vaincu. Ce secret qui nous lie ma fille, changera ta perception de ta vie... Mais dis toi que ta venue sur cette terre a débuté lors d'un éblouissement. D'un amour si fort. Pourvu que tu me pardonnes un jour...

Leila t'attend à ton arrivée au Port. Elle a si hâte de te rencontrer. Je t'embrasse, ton père. xxx


Ce message la laisse perplexe. Elle est de plus en plus déroutée. Elle pousse un soupir et se laisse tomber sur le lit. "Ta venue sur cette terre a débuté lors d'un éblouissement" Elle croit maintenant qu'elle ne connaissait pas vraiment son père et ses motivations. D'ailleurs, que veut-il lui dire? Elle a soudainement faim. Elle monte à l'étage. Le soleil est écrasant, le vent à peine rafraîchissant. Elle a revêtu le chapeau que Vincento lui a offert et sa robe blanche. Elle attrape distraitement quelques fruits secs dans un panier et se rend à l'avant du bateau. Ils sont assis là. La petite fille et le jeune homme aux cheveux et aux yeux si noirs. La fillette est mignonne dans sa robe rose.
-Hôla Segnorita! disent-ils à l'unisson.
Ils parlent espagnols. C'est sa chance!
-Bonjour!
-Vous allez bien ?lui demande le jeune homme en Italien
- Je vais bien merci, vous parlez Italien!? C'est surprenant!
- Je me débrouille... vous allez en Colombie?
-Je me rends au Pérou... le nom du village m'échappe...
-Huancavelica? demande le jeune homme en souriant?
-Exactement, vous connaissez?
-Nous venons de là, quelle coïncidence. Je m'appelle Esteban, voici ma soeur Elvina dit-il en la serrant dans ses bras.
-"Encantada" bredouille t-elle. C'est là que se limite son espagnol. Je m'appelle Jeanne.
-Alors qu'est ce qui vous amène au Pérou?
Jeanne ne sait pas trop quoi répondre à cette question.
-Je vais visiter quelqu'un.
-Je pourrais vous apprendre un peu d'espagnol, cela vous sera peut-être utile.
-Oui, j'en serai heureuse!
Ils s'installent joyeusement autour d'une table, riant et savourant le thé que Maria vient leur porter. À partir de ce moment, Jeanne sait qu'elle honorera la parole de son père car elle a toujours su que son destin était relié au sien, irrévocablement....

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